La brebis

Photo: H. Germain
Photo: H. Germain

Son standard se veut conforme à la description d’Arvieu et Pujol. Il ne s’agit donc pas d’une très grande brebis. Les catalans traditionnels tiennent à ce « petit » modèle, alors que les éleveurs cévenols aimeraient renforcer le gabarit.

 

Mais l’objectif premier est de conserver ses principales qualités d’élevage – très laitière sur les premiers mois, agneau « dense » et correctement conformé – tout en gardant un niveau de rusticité et de désaisonnement adaptés à une conduite typique d’arrière-pays méditerranéen : une ou deux périodes d’agnelage, agneaux broutards au printemps, utilisation de parcours et sous-bois cinq ou six mois de l’année, pas d’accélération, peu ou pas de concentrés.

Ce n’est donc pas à proprement parler une race de garrigues et de transhumance : l’éleveur qui vise un agnelage d’automne dominant, voire exclusif, et doit valoriser des milieux difficiles toute l’année, s’orientera plutôt vers une race spécialisée, caussenarde des garrigues ou raïole.

Même si certains l’utilisent en système « garde », ce n’est d’ailleurs pas une grande marcheuse au départ : un lot de rouges conduites en parc broutera celui-ci tranquillement, quartier après quartier, sans en faire trois fois le tour dans la journée comme le feront des caussenardes dans le même espace. Quant à suivre, voire précéder le berger, ce n’est pas non plus très ancré dans ses gènes : introduire ne serait-ce que quelques caussenardes dans le troupeau pour entraîner les rouges facilite énormément les déplacements …


Le désaisonnement : sur une lutte naturelle de cinq semaines démarrant début Avril, on peut tabler sur deux tiers de brebis pleines. Les antenaises d’automne, luttant pour la première fois à dix huit mois, prennent en principe à 80% et plus. Mais des agnelles de printemps, mises à la lutte à un an en contre saison, ne remplissent que très peu ; à moins de synchroniser, ce qui n’est pas dans l’optique des adhérents. – pas plus que les systèmes accélérés.

 

La prolificité : dans les troupes où la ressource alimentaire est bonne – conduite en parc, sur prés en périodes de lutte – elle oscille entre 150 et 160, pour une mise-bas par an bien sûr. Du coup, le programme ne cherche pas à l’augmenter : dans le système décrit ici, c’est largement suffisant. Bien sûr, là où la ressource alimentaire n’est pas optimale - système garde, lutte sur parcours - elle baissera jusqu’à 120 environ.

 

 

L’agneau

Au démarrage, le plus original est son aspect : il naît souvent couvert d’un poil roux intense, évoquant la robe d’un veau salers. Dans les troupes plus métissées, beaucoup naîtront « rascles », c’est-à-dire couverts d’une laine fine couleur crème : seules la tête et les pattes sont rousses, à peu près comme chez l’adulte.

Cette différence fait l’objet de palabres sans fins : faut-il éliminer les poilus, qui, par assimilation aux « bourrutchs » caussenards, ne pèseront pas et seront disqualifiés en vif par les acheteurs ? Ou, au contraire, les privilégier pour renforcer la couleur et se rapprocher du modèle « ancien » ?

Il est indéniable que les poilus roux du départ donneront ensuite les animaux les plus colorés ; et que les premiers béliers, de Fauruc notamment, ont transmis fortement ce caractère. Cela dit, la mue démarre vers deux mois, et est achevée à quatre : à l’âge de la vente, le lot est donc devenu homogène au regard. Quant au poids final, il dépend avant tout de la valeur laitière de la mère. Nous avons donc décidé de trier les reproducteurs sans tenir compte de ce caractère poilu, après tout caractéristique de la race ; et donc de ne pas éliminer ces poilus.

Après tout, cette mue est parfaitement décrite sur l’ancienne barbarine, par Tayon notamment ; et semble caractéristique de l’origine nord africaine. Cela dit, la tendance est de ne pas garder les sujets à mue tardive, gardant le poil roux dominant à quatre mois … On les soupçonne de donner des adultes peu lainés, des brebis se « déplumant » particulièrement pendant l’allaitement …

Autre paramètre, pour les troupes de plein air, les jeunes agneaux poilus craignent beaucoup moins les pluies printanières, même violentes, que les « rascles » ; et sèchent immédiatement.

 

Le plein air, justement, est pratiqué par les deux tiers des adhérents actuels ; en fait, tous ceux qui vendent en circuit court, avec un agnelage de printemps dominant, voire exclusif. Ces éleveurs cherchent donc à étaler leurs ventes : entre quatre et six mois pour les agneaux classiques, souvent plus âgés pour les fêtes musulmanes. Leur expérience montre que l’on peut, dans un contexte « sud », pratiquer ce système sans recourir aux races lourdes classiques. Même le croisement terminal ne s’avère pas indispensable : une carcasse O2 convient aussi bien, en découpe individuelle, que le R3 de référence ... Une complémentation au pré peut être mise en place à partir de deux mois, en basse énergie le plus souvent. Mais son coût devient dissuasif … Après le sevrage, les agneaux sont gardés en bergerie et assez rapidement rationnés.

 

L’agneau rouge traîne la réputation de graisser un peu trop rapidement : c’est probablement vrai dans le système bergerie, avec des aliments « haute énergie » riches en amidons. Il semble aussi que les brebis complémentées en céréales sur la fin de gestation aient tendance à faire des agneaux gros, d’où quelques soucis à la mise-bas. Mieux vaut donc se tourner vers les régimes fibreux et leur demander de les valoriser au mieux. Notre expérience montre également que des mères à doubles passant l’hiver au foin vont maigrir sérieusement dans les derniers jours de gestation, certes ; mais se reprendront très vite à l’herbe, tout en allaitant. L’essentiel est qu’elles soient arrivées en état à la lutte et sur les deux premiers tiers de gestation ; ce qui semble être caractéristique des rustiques …

 

Pour les éleveurs adhérents à des OP, il faut produire de l’agneau de bergerie, soit léger pour le marché «de  Perpignan », soit classique pour les filières Tarn ou Aveyron. Dans le premier cas, il n’y a pas de pénalisation par rapport aux BMC ou Lacaune habituels ; dans le second, les OP proposent plutôt le croisement industriel . Sachant que leur hantise de voir arriver des carcasses trop « vieilles » ou trop rouges est probablement un peu exagérée …

Le bélier

Depuis la création du centre en 1995, dix-sept promotions ont permis de diffuser à ce jour 485 jeunes béliers ; le rythme actuel est d’une bonne cinquantaine par an, ce qui correspond à près de la moitié du pool de mâles actifs. Cela correspond à la volonté d’opérer un renouvellement très rapide …

 

Le démarrage du programme « tremblante », en 2002, est venu casser un peu le rythme, puisque 40% des mâles étaient homozygotes sensibles, et ont été rapidement éliminés : la qualité s’en est trouvée évidemment affectée.

Depuis, le travail s’est effectué sans marche forcée, avec beaucoup d’hétérozygotes, sans imposer trop rapidement les résistants à 100%, ni, surtout, les sur utiliser …

Actuellement, la fréquence allélique du gène ARR est arrivée à plus de 60% sur les jeunes générations, et le centre diffuse plus de 50% de résistants homozygotes. Les homozygotes sensibles sont moins de 5 % sur les dernières promotions, ce qui écarte tout risque sérieux d’épidémie.

 

Pour autant, le fonctionnement est encore loin d’un mode « croisière », dans la mesure où quatre élevages fournissent régulièrement les trois quarts de la promotion, les autres restant surtout utilisateurs : on est encore loin du schéma idéal où les apports et achats de chacun sont équilibrés …

 

Plusieurs raisons à cela : la jeunesse de plusieurs troupeaux, dont certains procèdent uniquement par absorption, sans achat de femelles ; pour d’autres, ce seront les conditions difficiles, le manque de ressources ou un mode très extensif, qui ne permettent pas aux jeunes d’exprimer leur potentiel assez rapidement.

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La situation est elle dangereuse pour autant ? Nous ne le pensons pas, dans la mesure où, dès le départ de l’action, des mesures garde-fou ont été prises pour limiter le risque de consanguinité. Ainsi, chaque bélier est acheté au centre, utilisé au maximum sur cinquante brebis et pendant deux campagnes. Il peut-être revendu une seule fois au sein de l’association, et doit quitter le schéma à cinq ans maximum. A la demande des éleveurs de caussenarde, le règlement technique de l’association tolère qu’un bélier sur trois soit issu de l’élevage ; mais les éleveurs de rouges n’utilisent pas cette dérogation. En outre, les principaux fournisseurs s’astreignent d’eux mêmes à renouveler encore plus rapidement, après une campagne, voire une et demie s’il y a deux période de lutte.

 

Lorsqu’un troupeau a acquis une certaine cohérence dans le phénotype, il peut devenir rapidement fournisseur de mâles à son tour. Il doit, même, présenter ses meilleurs agneaux mâles, entre deux et quatre mois, en vue du génotypage. Le tri s’effectue sur le phénotype, couleur notamment, mais sans être trop « chinois » sur les détails de standard (le but n’est pas de faire les expositions), sur la conformation et les aplombs bien entendu ; la valeur laitière de la mère est supposée bonne, puisque l’on trie sur la tête de lot ; on n’écarte pas les naissances doubles, sans les privilégier non plus particulièrement …

 

L’association est prioritaire à l’achat des meilleurs, aucune vente particulière n’étant autorisée en son sein. Après quelques mois de pension, afin d’homogénéiser les conditions d’élevage, les nominés sont présentés à la vente publique entre six et huit mois : vente en octobre pour les agneaux de printemps (environ 75% actuellement), en mars pour les agneaux d’automne, très minoritaires.

 

Accepter la contrainte du renouvellement rapide supposait deux conditions préalables : économiquement, fixer un prix modéré, à peine au-dessus de la valeur bouchère, pour rendre le renouvellement supportable ; psychologiquement, casser l’image du super mâle améliorateur dont la belle présentation laisse supposer que ses descendants seront forcément magnifiques, et que l’on utilise jusqu’au dernier souffle.

 

La « règle des quatre béliers » a permis de concrétiser le risque de consanguinité intra troupeau, exponentielle dès lors qu’on utilise peu de mâles et/ou qu’on ne les renouvelle pas assez vite. Le prix de vente, équivalent à une valorisation bouchère en vente directe, permet de déroger à cette loi non écrite qui veut que plus un mâle a coûté cher à l’achat, plus longtemps on risque de le voir sévir dans l’élevage …

 

En résumé, au lieu de fixer des règles lourdes visant à limiter la consanguinité inter troupeaux (rotation en horloge, logiciel sophistiqué, fournisseurs « interdits » …), nous laissons l’acheteur libre de choisir l’animal qui lui plait (après tirage au sort pour l’ordre de passage ; les apporteurs bénéficient d’un tirage préliminaire, mais pour un seul bélier) ; à condition de veiller ensuite à la consanguinité intra troupeau en respectant les règles définies plus haut.

 

Dans un tel schéma, le mâle est donc plus perçu comme un apporteur de « gènes frais », à renouveler rapidement, que comme un top model impeccablement conforme à un standard impitoyable ; ni comme un étalon forcément générateur de hautes performances techniques. Ce qui correspond bien à une race rustique, plutôt « race de femelles ».

 

Toujours est-il que, après une douzaine d’années, en partant d’un noyau de mâles hyper réduit, les qualités d’élevage nous paraissent excellentes : fécondité, prolificité correcte mais sans naissances triples, fort instinct maternel (aucun refus d’adoption chez les primipares), agneaux dégourdis à la naissance ; disparition des tares physiques (les bégus n’étaient pas rares au début), des prolapsus vaginaux, mammites devenues rares …